1
février
2022

Militer aux platines

Co-fondatrice du collectif nantais Zone Rouge, Anaïs se bat pour une meilleure reconnaissance des femmes et des minorités dans les musiques électroniques, en étant elle-même devenue DJ. Le meilleur terrain de bataille.

Tout est affaire de rencontres. De celles qui bouleversent un parcours. Avec une ville, d’abord. Étudiante parisienne en médiation culturelle, Anaïs, stagiaire, découvre l’accompagnement artistique, la promotion, le travail des labels. Avec ses petits moyens, elle sort peu à Paris, trop onéreux, mais développe ailleurs son appétence musicale. « À l’époque, j’étais plutôt rock, et surtout reggae, se souvient la jeune femme. Un héritage culturel… Je suis métisse franco-malgache ».
Un avion plus tard pour un Erasmus à Berlin, la clubbeuse et l’étudiante découvre le milieu des musiques électroniques. C’est le choc. « J’ai adoré le lien entre ces scènes électro et les communautés LGBTQI+. Ça n’existait pas à Paris, cette inclusivité. C’était vraiment une grosse claque. » Anaïs observe alors. Ces physionomistes à l’entrée des clubs berlinois qui font attention à tout et tout le monde. Ce sentiment de sécurité en tant que femme sur le dancefloor. « J’ai voulu rendre possible cette expérience en France. Mais pas à Paris. »
Sur les conseils de cousins bretons teufeurs, la voilà qui pose ses valises à Nantes, à la scène électro réputée. En pleine année de Master, elle est engagée au vestiaire du Macadam, haut lieu de la nuit nantaise. Une expérience « très forte », un an de nuits blanches le week-end, du bonheur pur couplé à un constat amer. Les femmes sont en périphérie du monde de la nuit. Pourquoi sont-elles uniquement à la billetterie, au vestiaire, derrière le bar  ? « Et pourquoi aussi peu de sensibilisation aux violences dans le monde de la nuit ? Quant aux platines, très peu de femmes, et encore moins racisées. » L’amitié fera le reste.
Avec sa complice Anaëlle, elles créent Zone Rouge en 2019, un collectif féministe pour mettre en avant les femmes dans la musique électro. Mais pas sans se mouiller. Délaissant 15 ans de piano, « pas un très bon souvenir », Anaïs passe derrière les platines. « On ne voulait plus être dans l’ombre des artistes. On a appris à mixer ensemble, on veut déconstruire tout ça, se dire qu’on est légitimes. »
Aujourd’hui, Zone Rouge compte 7 DJ (le mot est épicène) résidentes, une chargée de prod’ et une scénographe. Et Anaïs est devenue Soa – prononcé Soua -, son nom de scène. Elle mixe break et bass music avec des influences personnelles, teintées de dancehall et de trap. Jusque dans sa musique, Anaïs est militante féministe intersectionnelle. Quand elle n’est pas en club ou à peaufiner ses mix, elle lit des livres de sociologie sur l’antiracisme. Et tient à diriger la lumière sur des communautés jusqu’alors invisibilisées dans ces courants musicaux.
À Zone Rouge, on milite et on mixe en non-mixité. Le collectif travaille à la production d’événements, ralenti par une pandémie qui ne peut faire taire la fête. « Sans regard masculin, on mixe sans pression, on se développe artistiquement. » Pour exposer et exploser ensuite. En novembre dernier à Trempolino, puis en décembre au Macadam, Zone Rouge a proposé un line up « 100% féminin et racisé ». Et mis en place son axe prévention. Discours d’accueil rassurant rappelant les valeurs en vigueur, maraudes sur le dancefloor avec signe distinctif et espace safe visible. Zone Rouge ne part pas de rien. « Nous avons suivi une formation de prévention en milieu festif. La prévention doit aussi se faire pendant les soirées. » Anaïs se souvient de son année au vestiaire du Macadam, lorsque des femmes venaient lui confier les agressions subies. Pas question pour elle de mettre ça de côté. Ni la joie de transmettre.
Le 26 mars prochain, la jeune femme animera un atelier autour de la place des femmes dans les musiques actuelles. Une proposition du château des Ducs, en lien avec l’exposition L’abîme. « On veut encourager les jeunes filles qui ne sont pas privilégiées à prendre leur place et montrer leur travail. » La nuit nantaise n’en est que plus impatiente de rouvrir ses portes.
Elsa Gambin

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