28
septembre
2021

VA VOIR AILLEURS ! (OU PAS)

Les activités EXTRA scolaires, vraiment structurantes ?

Il y a celles et ceux pour qui l’activité extrascolaire, c’est de l’indéboulonnable  ! Il faut en faire. Point. Et il y en a d’autres qui finalement ne s’en porte pas plus mal de ne pas courir d’un bout à l’autre de la ville, pour récupérer d’abord le p’tit, après le grand… rapidement. Et, entre tout ça, il y a plein de choses. Tellement, qu’en discutant avec Marine Quillevéré (éducatrice de jeunes enfants) et Gaëlle Lucas (psychologue clinicienne), toutes deux accueillantes à La Marouette, on en apprend aussi énormément sur nous-même. Rencontre.

On dit : “c’est toujours bon d’apprendre…” donc faire une activité extrascolaire, c’est toujours chouette ?
Les deux jeunes femmes me regardent, hochent la tête sans rien dire…

Il paraîtrait que ça développerait des aptitudes comme la créativité ou la curiosité…
Marine : il faut d’abord voir d’où vient l’idée de l’activité. Est-ce que l’enfant en a émis le souhait ? Est-ce que c’est une idée qui vient du parent ? Est-ce qu’une activité extra-scolaire, c’est partir dans sa chambre pour faire du dessin ? En fait, il faut trouver l’origine de ce choix, pour comprendre ce que l’enfant pourrait potentiellement en faire.

Les bénéfices ne sont pas les mêmes si c’est le désir du parent ou celui de l’enfant ?
Marine : le parent projette souvent quelque chose de lui dans ce choix. Parfois, cela peut même être un désir inassouvi qui ressurgit. Par exemple : « j’ai toujours voulu faire du hand. Je n’ai pas pu en faire. Tu feras du hand ». Et puis, il y a le type d’activité. Entre le sport ou les arts, ce n’est pas pareil. Si c’est quelque chose qui demande du temps, qui demande de la concentration, ou pas… Et dans le cas où la demande ne vient pas des enfants, le parent aurait à se demander pourquoi il faudrait à tout prix faire une activité. Parce que laisser un enfant jouer dehors, c’en est une aussi.

Ne rien faire apporte aussi de la créativité…
Marine : Oui mais après on peut aussi ne rien faire dans l’activité extra-scolaire…

Et là du coup, on dépense de l’argent pour rien ?
Marine : bah… si l’enfant y trouve du plaisir ! (rires)
Gaëlle : la question qui semble importante là-dedans, finalement, c’est quelle place on laisse au désir de l’enfant ? Au départ, est-ce le désir de l’enfant, ou du parent ? Et quand c’est celui du parent, comment va s’y loger l’enfant ? Va-t-il être dans l’envie ou le refus d’y satisfaire pleinement ? Dans « apprendre », on entend « A » et « PRENDRE ». Comment lui, il va y prélever quelque chose pour lui-même ? Et pour ça, il s’agirait qu’il y ait de son côté quelque chose qui surgisse d’une envie, d’un désir. Vous évoquiez l’ennui, en ne faisant rien, et ce n’est pas banal de passer justement par cette question. Permettre aux enfants de s’ennuyer un peu, c’est leur proposer un espace où le désir de l’autre lui fout un peu la paix. Pas trop de demandes, d’attentes, et c’est du coup l’opportunité pour lui que quelque chose émerge de son côté… d’une envie, d’un manque, d’un désir. Et les enfants qui s’ennuient, c’est plutôt une bonne nouvelle.

Les enfants d’aujourd’hui ont encore le temps de s’ennuyer ?
Gaëlle : justement…
Marine : le temps ou la place.
Gaëlle : on est dans un monde où c’est une vraie question. Dans ce qu’on propose aux enfants aujourd’hui, quelle place est faite au manque ? À la frustration, à l’ennui, à quelque chose où il ne s’agirait pas d’une production, ou d’une réponse, mais au contraire d’un petit creux. Une place vide, où il peut aussi s’exprimer.

Et aussi développer peut-être d’autres compétences alors ?
Gaëlle : aujourd’hui, on entend beaucoup parler des enfants de deux manières : soit ils auraient un trouble, un déficit ou, à l’inverse, ils seraient dotés d’un hyper potentiel. Et, entre les deux, finalement, quelle marge ont les enfants, en tout cas dans ce que les parents ont à en dire ? Entre le déficit et la précocité, ou quelque chose en supplément, on évacue beaucoup la question du manque chez l’enfant. De ses choix, ses désirs, ses particularités, sa manière de s’exprimer sans que cela soit rabattu du côté d’un déficit ou d’un hyper potentiel, dans les projections des adultes.
Marine : parfois, les parents pensent que leur enfant excelle dans une matière, ou un art, alors qu’il ne fait que des choses d’enfant. Il y a là peut-être l’idée, ou l’envie, que l’enfant surprenne, mais avec une idée bien précise : celle du désir du parent. Alors que dans l’ennui, c’est sûrement l’enfant qui va se surprendre lui-même et, peut-être même, davantage surprendre son parent.
Mais du coup, c’est bien, ou pas, d’aller piocher dans d’autre univers pour faire des expériences ? (Question niaise,
je le sais !)
Gaëlle : ça s’appelle la fonction de l’ailleurs.
Marine : l’idée que ce soit une échappée, un ailleurs de ce que l’on connait et où on se surprend parce que l’on s’autorise à se surprendre et parce qu’on s’y sent plutôt bien. L’ailleurs se découvre et se choisit, il ne peut pas être imposé. S’il y a une demande du parent d’imposer un ailleurs, est-ce que ce sera celui de l’enfant ?

Il faudrait donc que l’enfant ait déjà une certaine forme de maturité pour choisir ses activités ?
Gaëlle : quelque part oui. Car si le parent y est de trop, sans que ce soit forcément physique mais dans ce qu’il y investit pour son enfant, alors ça ne fait plus fonction d’ailleurs. Au fond, ce qui est chouette pour un enfant c’est quand même quand son parent à le désir de l’ouvrir à un ailleurs, à autre chose, en dehors de sa famille. Ne serait-ce vers l’école, qui est un endroit où l’on peut lâcher quelque chose. Je suis toujours abasourdie des parents qui viennent aujourd’hui avec un investissement très fort sur la scolarité de leur enfant et qui ont beaucoup de mal à lâcher quelque chose à la maîtresse, ou éventuellement à l’orthophoniste… Ils ont un investissement dans la scolarité de leur enfant qui est plein. Et souvent, ces enfants-là, leur symptôme, c’est qu’ils ont du mal à apprendre… ça se répond. Si l’autre y est trop, quelle place l’enfant peut prendre là-dedans. Pour un enfant, c’est extrêmement précieux d’avoir des parents qui lui tendent des perches pour qu’il aille voir ailleurs mais tout en lâchant quelque chose de leurs propres désirs pour que cela reste l’affaire de l’enfant.

Une ouverture qui amène à un plaisir, puis à un apprentissage réussi… C’est ça ?
Marine : ça dépend de ce que l’enfant fait.

Comment ça ?
Gaëlle : en dehors des adultes qui font des propositions et qui sont responsables de lui, l’enfant est aussi responsable des choix qu’il fait pour lui-même, de la manière qu’il a d’investir ses liens, ses activités. On voit souvent des enfants qui ont un rapport à l’activité où il n’est pas question de plaisir. Des enfants qui peuvent faire des colères alors qu’ils sont dans leurs jeux. Par exemple, à La Marouette, on a un vélo qui est plutôt fait pour les enfants de 3 ans et l’on voit des enfants qui, du haut de leur 1 an ou 2, veulent absolument faire de ce vélo. Même s’ils sont avertis de la difficulté, ils l’ont décidé. Et l’on sent bien dans la manière qu’à l’enfant de vouloir répéter quelque chose de ce rapport à la frustration, à la colère, qu’il recommence, qu’il y a aussi là quelque chose qui lui appartient pleinement. Dans son déplaisir, il y retourne beaucoup quand même ! (Et ça ne concerne pas que les enfants d’ailleurs… chacun pouvant s’y reconnaitre dans cette affaire-là !)
Marine : c’est vrai que ce vélo est beaucoup apprecié (rires) et qu’il génère de la frustration. Dans jouer, il y a quelque chose qui se joue et, comme dit Gaëlle, ce n’est pas forcément de l’ordre du plaisir. Tous les enfants ne se disent pas. : « wah super ! même si je n’ai pas réussi à monter sur le vélo, j’ai essayé au moins ».
Gaëlle : à La Marouette, on a aussi une grande ligne jaune qui limite l’espace de jeu de certains jouets. Elle est symbolique, c’est l’interdit. Un interdit très simple, les petits véhicules ne passent pas cette limite et c’est comme ça, il n’y a pas d’explication à cela. Et il s’y joue forcément de tas de choses. On voit des enfants, quand ils rencontrent pour la première fois cet interdit, cette frustration, ils vont y retourner… beaucoup ! Et ils trouvent des stratégies, ils tentent de trouver des solutions… Au moment où ils rencontrent cet interdit, cette frustration, il y a aussi quelque chose qui peut faire satisfaction pour eux. C’est là où c’est intéressant de se décaler de la question du plaisir, ou du déplaisir, mais de savoir qu’à un certain moment, il y a quelque chose qui surgit pour eux, qui fait rencontre, et qu’ils ont besoin de répéter. Il y a peut-être là, pour eux, une nécessité. Et nous, on s’appuie beaucoup sur cette règle pour dire aux parents, qu’au fond oui, c’est nécessaire d’avoir des limites, de la frustration, de dire « non ».

Et d’aller jusqu’à la frustration de faire une activité qu’ils ne désirent pas ? Qu’ils se forcent ?
Marine : on revient toujours sur l’idée de l’ailleurs. Est-ce que l’enfant y trouve du sens. Du sens pas en termes intellectuel ou raisonné type « c’est important que je fasse ça parce que je pense à mon avenir… » mais plutôt le sens qu’il y met en tant que désir. S’il ne trouve pas de sens, pourquoi dans ces cas-là y aller ? Pourquoi continuer ? Mais il peut aussi se dire que faire cette activité extra-scolaire, pour lui, ce sera, par exemple, ne rien faire. Il va finalement en faire quelque chose mais pas ce qu’on pouvait attendre.
Gaëlle : c’est vrai que ce n’est pas une évidence, mais de ne rien faire à un endroit peut révéler qu’il y a du forçage. Parfois, même si l’enfant est capable de formuler son refus, le parent ne peut pas l’entendre, ne peut pas le supporter. Ce qui est différent d’un enfant qui n’en dirait rien de son refus, parce qu’il voit bien que le parent y tient tellement qu’il veut y répondre. Là, il en va aussi de la responsabilité de l’enfant… de choses un peu complexes. Mais on voit souvent surgir, à d’autres endroits de la vie de l’enfant, des symptômes en tout genre mais qui souvent ont ce trait commun de venir introduire un refus, un impossible, sous forme d’un « rien ». C’est-à-dire de petites anorexies, des mutismes parmi d’autres troubles du langage, ou alors une difficulté d’apprentissage. Par exemple, un enfant qui ne retient rien, qui n’arrive pas à se concentrer, qui n’arrive pas à être présent là où on l’attend. Finalement, il est peut-être juste en train de tenir son dernier bastion, son dernier refuge, l’endroit où il ne cèdera pas ! Cela met bien souvent l’autre dans l’impuissance mais ça c’est très criant. Et, quand un parent peut apercevoir ça, souvent il peut lâcher un peu. Et parfois, il peut y avoir un petit bougé, une alternative. Dans l’alternative, la question de la perte est souvent importante. Entre parent et enfant, quand on voit se cristalliser des endroits de malentendus, des endroits où ça ne se rencontre pas – l’enfant ne répondant pas à l’enfant idéal et le parent non plus – il y a toujours quelque chose à lâcher (de part et d’autre) et donc de la perte. Mais pour un enfant, cela peut prendre la dimension « d’être lâché ». Et les enfants sont très sensibles à cela et ils en témoignent souvent. Certains pensent perdre jusqu’à céder quelque chose de leur existence propre.

Oui mais « pousser » son enfant, c’est peut-être aussi le préparer à l’avenir ? L’armer pour le futur…
Marine : ça revient à souhaiter le meilleur pour son enfant mais ça peut être le meilleur pour soi et pas forcément pour lui.
Gaëlle : on transmet souvent à un enfant au-delà de ses désirs et il s’agit aussi beaucoup de ses propres failles, ses angoisses, ses manques, ses traumatismes. Le plus important pour un enfant, c’est la capacité de découvrir, à un moment donné, que ce qu’on lui a transmis, c’est aussi l’affaire de l’autre. Chez l’autre ça raconte telle histoire. S’il arrive à retracer l’histoire de ce qu’on lui a transmis, il peut s’en séparer un peu et, parfois, ça peut prendre toute une vie. Bon nombre de patients adultes, qui viennent faire un travail, passe longtemps à essayer de se défaire de ce qu’un parent a pu leur transmettre. Cela répond souvent à une douleur du parent et même si l’intention de départ est bonne, elle peut faire des dégâts.
Marine : l’arrivée d’un premier enfant est souvent l’occasion de régler des comptes avec ses propres parents. Parfois, il y a même l’idée de faire tout l’inverse. Et c’est absolument symétrique, complètement inversé mais finalement c’est la même chose… enfin en tout cas ça y ressemble énormément.

Un peu comme à l’adolescence où le jeune change souvent de pratiques ? (Comment retomber sur ses pieds – et le sujet !)
Marine : oui, faire une activité lui semble clair pendant longtemps et, peut-être qu’elle répondait à la projection des parents, mais surtout peut-être que pour un enfant qui faisait par exemple du tir à l’arc, cette activité appartenait à l’enfance et qu’aujourd’hui la guitare lui correspond mieux.
Gaëlle : pour moi, le temps de l’adolescence c’est un temps où on passe de l’aliénation à la séparation, donc l’adolescent est dans ce moment très complexe, où à la fois on a besoin des parents, de maintenir un appui et, en même temps, où le désir d’ailleurs est très fort. Il y a des choses qui s’agitent dans son corps qui le séparent aussi de la bulle familiale. Mais cette séparation (par rapport à l’activité), à y regarder de plus près, a peut-être à voir avec les copains et les copines. C’est un peu comme on passerait du « père » aux « paires ». L’adolescent se sépare de sa référence à l’enfance, pour se rapprocher des autres, des petits autres, semblables, qui sont dans le même temps que lui, les mêmes enjeux et, finalement, l’adolescent change d’appui. C’est au collège que se forment les bandes et les groupes. C’est constitutif : il a besoin de s’identifier à ses paires. La séparation est une donnée à traiter à l’adolescence.
Marine : mais finalement, la question de la séparation, elle revient aussi avec les petits et l’idée de faire des activités extrascolaires. Est-ce que l’activité extrascolaire va lui permettre de grandir et de se séparer de son parent ?

Propos recueillis par Valérie MARION

La Marouette est un lieu de rencontre et de parole pour les enfants (jusqu’à 4 ans) accompagnés d’un parent ou d’un proche. Vous avez envie d’échanger avec les accueillants ou avec d’autres parents ? Le lieu est ouvert les lundis, mercredis et jeudis après-midi de 15h30 à 18h et le samedi matin de 10h à 12h30. Toutes les infos → marouette.fr ou → facebook.com/lamarouette

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