15
décembre
2020

LA FAMILLE ENFIN RÉUNIE… ENFIN PRESQUE !

Psychologue clinicien et psychanalyste, Nicolas Peraldi travaille en pédopsychiatrie pour le CHU dans un centre médico-psychologique et pour l’École des parents. Autant vous dire que les maux de l’âme des enfants, il connaît ! Rencontre autour de la fratrie et des (nouveaux) schémas familiaux, sans oublier les ados.

Est-ce fréquent de recevoir des enfants qui souffrent de leur relation de fratrie ou de l’arrivée d’un autre enfant ?
Cette histoire-là est biblique. Ça renvoie à Abel et Caïn, de l’Ancien testament, où deux frères se jalousent l’attention du Père (dieu). C’est le premier meurtre ! La jalousie entre frère et sœur est inhérente à la relation fraternelle ou sororale, elle fait partie du lien familial. J’ai tendance à dire que les frères et sœurs se détestent cordialement.

Ah oui ?
Oui, parce qu’il vise le même objet. Ils cherchent l’attention et l’amour exclusif des deux parents. Et pour ça, ils sont prêts à faire tout et n’importe quoi (rires).

Vous parlez des sales coups entre eux ?
Oui, on en veut à celui qui a pris de la place alors on essaye de lui régler son compte, pour rester sur la métaphore. C’est de l’agressivité mais, ça fait partie de l’être humain. Nous sommes des êtres agressifs, il faut que ça s’exprime dans une juste mesure. Les parents ne doivent pas trop intervenir quand les enfants se chamaillent, sauf si ça devient dangereux, évidemment. Sinon, cela signifie qu’ils se considèrent eux-mêmes comme l’objet de la discorde. En ne s’en mêlant pas trop, ils disent « c’est votre affaire, vous vous débrouillez entre vous. » Bien sûr, il faut rester vigilent mais c’est souvent un moyen d’attirer l’attention, une attention négative sur l’autre. Imaginons, je me dispute avec mon frère, je le pousse, il se met à crier et il me pousse en retour. Son cri va attirer l’attention des parents qui vont voir ce dernier me pousser et la colère des parents lui tombera dessus. Mieux encore, il se fait punir et, là, ça devient très satisfaisant.

Mais, revenons en arrière, pourquoi tant de haine ? (Rires)
Imaginons un couple parental qui ont un enfant qu’ils aiment, qui est l’objet d’attention, d’amour. Ce dernier est sous le regard permanent des parents, bref, il profite de ce qui lui est donné. Et puis un jour, on lui annonce ce qu’on appelle curieusement « un heureux événement ». Tu vas avoir un petit frère ou une petite sœur. Tu verras, c’est merveilleux, tu pourras jouer avec. Cet enfant, il n’en veut pas de l’autre… Ce qu’il veut, c’est garder ses parents pour lui. C’est pour ça qu’on appelle ça un heureux événement, c’est pour atténuer la rivalité et la haine qui va pouvoir se manifester quelques temps plus tard. Cet enfant, il n’est pas prêt à partager, il a l’impression qu’on va lui voler tout son amour. D’autant plus que dans la réalité, maman est plus occupée et préoccupée aussi, elle est donc moins disponible pour lui. Que papa est aussi occupé voire préoccupé, qu’il doit apprendre le suédois pour monter les meubles Ikea. Et je ne vous parle pas de la chambre qui rapetisse, puisqu’on y ajoute des meubles. Même les grands-parents quand ils arrivent, ils amènent des cadeaux pour l’enfant qui va naître… donc l’ainé s’aperçoit qu’il y a quelque chose qui va se modifier considérablement et il le reproche à cet enfant qui va naître. Donc oui, beaucoup d’enfants vivent très mal l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur.
Je n’en ai jamais connu qui accueillaient ça de manière très satisfaisante, mais c’est sûrement parce que je travaille avec des enfants qui ne vont pas forcément très bien (rires). Je dirais que même dans mon environnement personnel, j’ai pu mesurer à quel point la rivalité est au cœur de la fratrie.

Et dans les familles recomposées, c’est pire ?
Ça se complexifie puisque le beau-parent peut aussi devenir source de jalousie. Quand les parents se séparent, les enfants subissent la séparation. Ce n’est pas quelque chose qu’ils souhaitent même s’il y a de bonnes raisons. Or l’arrivée d’un beau-père ou d’une belle-mère, c’est problématique parce que ça évince pratiquement définitivement la possibilité des parents de se remettre ensemble. C’est donc un rôle difficile à tenir de fonder une famille avec des enfants qui ne sont pas les siens, qu’on n’a pas élevé, en préservant l’image du parent absent. C’est un équilibre assez complexe. Et là, les enfants et surtout les adolescents ne se gênent pas pour attaquer cette autre figure qu’est le beau-père ou la belle-mère, et également les enfants de celui-ci.

Mais des fratries recomposées qui s’entendent, ça existe aussi… Notamment quand ils ont un âge proche.
Oui, c’est toujours du cas par cas mais j’ai effectivement pu observer que pour des enfants du même âge, qui vivent sous le même toit et avant l’adolescence, il peut y avoir un moment où ça semble plus facile. Ils peuvent avoir les mêmes centres d’intérêts, les mêmes jeux… construire un lien fraternel. Mais lors de l’adolescence, moment conflictuel pour chaque sujet qui traverse cette période et caractérisé par la contestation, la confrontation avec les parents ou les beaux-parents est un moyen de pouvoir mieux s’en dégager. L’ado aura aussi tendance à plus se séparer de ses frères et sœurs ou demi-frères ou sœurs. Ce terme « demi » est d’ailleurs souvent repris par les enfants qui considèrent d’eux-mêmes qu’on est juste frère ou sœur. Peu importe le lien du sang, ce n’est pas une moitié ! Et même si des conflits peuvent intervenir comme dans toute famille, ils construisent un vrai lien. Il faut savoir qu’un adolescent qui, bien souvent, vit dans sa chambre, est tout de même rassuré par l’attention que lui porte ses parents. Ça le sécurise de voir que nous sommes disponibles pour l’écouter. D’ailleurs, tous les enfants passent par la crise de l’adolescence mais ne sont pas forcément en crise. La crise, c’est le moment où l’ancien monde ne peut pas mourir et celui où le nouveau monde ne peut pas encore naître… pendant ce temps, des éléments morbides peuvent apparaître. Et ça, on le retrouve souvent chez des ados qui s’isolent ou s’enferment. On n’est ni enfant, ni adulte. C’est un temps d’incertitude et de flou qui est plus ou moins bien vécu, mais c’est un autre sujet.

Comment faire preuve d’une autorité « juste », surtout quand on est le beau-parent ?
D’abord, si on ne se sent pas la « droit » à autorité sur les enfants de l’autre, c’est sûrement que la place de l’amoureux (et donc du parent) joue un rôle. Rentrer en confrontation avec un enfant qui n’est pas le sien peut avoir des répercutions avec son amoureux et les parents ne doivent jamais se disputer ou être en désaccord devant les enfants. On peut être en désaccord, c’est même parfois nécessaire, mais jamais devant eux, car ça les met toujours en porte-à-faux : l’enfant peut se sentir à la fois satisfait (de la dispute) et coupable. Et la culpabilité, c’est toujours de l’angoisse. On peut se disputer, notamment sur la notion d’autorité, mais pas dans la même pièce que les enfants (ils peuvent entendre mais pas « participer »). Tout adulte, quel qu’il soit, est figure d’autorité. À ne pas confondre avec l’autoritarisme. Faire autorité, en tant qu’adulte, c’est avoir une expérience que l’enfant n’a pas encore. « Je te dis ce que moi, j’en pense, ce que je souhaite, je suis responsable de toi, nous vivons ensemble… Donc tant qu’on vit ensemble il y a des règles ». Être adulte, c’est donc protéger les enfants.
Dans une famille recomposée précisément, l’autorité du parent direct est peut-être plus prégnante, parce que c’est son enfant et il y a un lien direct depuis longtemps, mais un beau-parent doit avoir une certaine autorité sur l’enfant avec lequel il vit. C’est suivre les règles du foyer mais ça ne doit pas être dans l’optique de se substituer à l’autre parent !

Et quand on est débordé par ses situations, on fait quoi ?
Il faut en causer avec quelqu’un. Quand on est dépassé parce qui se passe à la maison, quoi que ce soir, il est nécessaire d’en parler avec quelqu’un d’extérieur, pour remettre un petit peu d’ordre. Il existe des dispositifs de parentalité qui peuvent en une, deux ou trois rencontres remettre les choses dans l’ordre.

Et pour faire bouger son ado qui refuse de parler avec une personne extérieure ?
Le thérapeute est là pour vous aider à trouver vos propres solutions et quand l’ado ne veut pas venir, on peut lui demander de venir au moins une fois et d’ensuite prendre sa décision en connaissance de cause…

Pour finir, on demande souvent au « grand » de garder les « petits » le temps d’un dîner par exemple. Qu’en pensez-vous ?
On lui enlève de son enfance ou de son adolescence. Ce n’est pas encore un adulte et on n’a pas à le responsabiliser. Certains le font d’eux-mêmes, ils veulent prendre le relai. Là, encore, il est nécessaire de leur rappeler que ce sont des ados et que ce n’est pas à eux de le faire. Des parents qui veulent sortir prennent une baby-sitter, même s’ils ont un grand de 14 ans à la maison. Sinon, c’est la métaphore du fruit. Quand un oiseau vient frapper dans un fruit, pour en manger une petite partie, il va accélérer sa maturation et le fruit va pourrir ; un adolescent c’est pareil. Il faut le laisser murir par lui-même. Nous, nous vieillissons. Eux, ils grandissent. De plus, c’est montrer aux autres enfants que le parent n’assume pas sa fonction. Bref, c’est dommageable pour tout le monde.

Mince !

Propos recueillis par Valérie MARION

L’École des parents accueille parents et/ou enfants et adolescents : epe44.fr

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