15
décembre
2020

LE SECOND ARRIVE !

Simon Micheau est psychologue clinicien, psychanalyste, chercheur et enseignant. Parce que c’est bigrement intéressant, il aime aussi donner de son temps à ceux (parents, enfants ou proches) qui viennent dans ce lieu de rencontre et de parole… j’ai nommé La Marouette. Entrevue autour de la fratrie et des petits !

Est-ce que la fratrie est un sujet souvent abordé ?
Oui, nous en entendons parler dans la mesure où l’arrivée d’un deuxième enfant ne se fait jamais comme celle du premier. Chaque parent se demande comment accueillir un enfant qu’il n’a pas encore rencontré. Comment vont pouvoir s’inventer et se tisser de nouvelles relations d’amour ? Comment l’aîné va réagir, lui qui a connu le statut d’enfant unique ? Il est d’ailleurs le seul à jouir de cette place-là dans le modèle familial. Mais il faut savoir que, quand un autre enfant arrive, on ne perd pas vraiment sa place. Il y a quelque chose d’autre qui s’invente. Il est tentant de croire que l’amour est comme un volume défini qui se divise en fonction du nombre d’enfants, or je dirais plutôt que l’amour est un volume qui vaut pour chacun et qui se multiplie.

Est-ce qu’il va supporter d’avoir moins d’attention en somme…
Oui, et en même temps, est-ce qu’il a le choix ? Il y a les questions des parents et celles des enfants. Elles ne sont pas les mêmes, même si elles s’entrecroisent. Certains enfants vont dire directement que non, ils ne supportent pas l’arrivée d’un autre enfant alors qu’il va bien falloir qu’il trouve comment faire. D’autres le vivent très bien et sont mêmes ravis.

L’âge où se produit ce changement a une incidence ?
Il y a souvent un lien avec l’âge, mais il y a surtout un lien avec ce qui est dit. Avec la parole et le message qui est adressé à l’enfant. Évidemment un enfant de 3 ans ne réagira pas pareil qu’un de 10 ans ou un bébé de 9 mois. Mais on ne peut pas catégoriser comment va réagir l’enfant selon son âge. L’important est de parler de cette arrivée. Parfois, certains parents ont des difficultés à annoncer la venue d’un autre enfant et nous demandent même s’il faut le dire. Quand la grossesse se voit, il est alors peu probable que l’enfant ne s’en soit pas rendu compte mais ce n’est pas une raison pour se taire car une parole produit toujours un effet, au-delà du phénomène qu’elle énonce.

Il faut donc préparer l’enfant à l’arrivée ?
Il y a des choses que vous pouvez préparer et il y a ce que vous rencontrez une fois que l’enfant est là. Être en voie d’être parent, pour un premier comme pour un second, pose des questions. Les désirs et les projections font qu’on croit anticiper et, évidemment, le jour où ça arrive, on se rend compte qu’il y a des choses qu’on n’avait pas prévues. C’est une rencontre dont il s’agit. Lorsque l’enfant est idéalisé, l’idéal tombe avec la rencontre elle-même, ça s’incarne notamment au travers des pleurs, etc. Ce que Freud appelle « le principe de réalité ». Il faut composer avec cela et ce n’est pas une mince affaire.

Pourquoi certains enfants réagissent mal ?
Finalement, il réinterroge leur rapport à l’autre. Est-ce que je vais disparaître ? Pour un premier, est-ce que je ne vais plus être le centre d’une attention ou d’un désir ? Ce n’est pas forcément le cas de tous les premiers enfants. On n’est pas obligatoirement le centre, même lorsque l’on est le seul. C’est d’ailleurs souvent plus facile pour eux quand un second arrive. Parce qu’effectivement, il y a bien quelque chose qui disparait du côté du lien et de la disponibilité. C’est rencontrer quelque chose à la fois de douloureux et en même temps d’indispensable.

Indispensable à la construction de soi ?
Oui, c’est pouvoir supporter l’absence de l’autre. Comment est-ce qu’on supporte que l’autre ne soit pas là ou ne réponde pas ? Comment on supporte que l’autre nous dise non ? Tout enfant rencontre ça à un moment donné et c’est vrai que l’arrivée d’un nouvel enfant peut le précipiter. Finalement, on tourne autour d’un mot, c’est la séparation. Comment un enfant se sépare de ses parents ? Et comment un parent se sépare de son enfant ! Pour pouvoir advenir en tant que sujet, avec son libre arbitre, il faut qu’il se détache, qu’il invente quelque chose qui va venir de lui. D’ailleurs, lorsqu’il découvre le « non », il en joue. Et ce qui l’intéresse, c’est de voir l’effet que ça produit sur l’autre. Une fois qu’il a éprouvé cet effet, il peut commencer à dire oui. Pas n’importe quel oui, son oui à lui.

Certains pensent qu’être au milieu est une mauvaise place dans la fratrie. Pourquoi cela ?
En général, c’est parce qu’on voit le plus grand qui commence à jouir d’une autonomie et le plus petit qui jouit des avantages du petit. Il y a énormément de littérature à ce sujet. Oui, ça met à une place d’un entre-deux où l’on voit les avantages des autres. Mais finalement, c’est une vue de l’esprit, on peut toujours imaginer que l’autre à un truc que l’on n’a pas. Ce n’est qu’une place et je trouve ça assez interrogeant, du côté du bénéfice, d’en faire vivre une par rapport à une autre… Chacune s’invente dans un rapport avec ses privilèges et ses inconvénients. Et on a tendance à se dire que l’autre a plus, ou a mieux. Mais finalement, c’est bien sa propre condition de sujet qui est à l’œuvre… Et l’autre à bon dos !

On parle beaucoup des familles recomposées… La fratrie se résume-t’elle à grandir ensemble ?
La fratrie ce n’est pas un lien de sang (ou sans !), c’est un lien d’avec ! Quel sens a le lien de sang ? L’important, c’est le lien d’amour. C’est ça le terreau essentiel. Est-ce qu’on s’inscrit dans une filiation seulement parce qu’on partage le même capital génétique ? Pour ma part, je considère que non, mais c’est aujourd’hui une vraie question éthique qui se pose.

C’est donc un lien d’amour…
Oui mais, qu’on partage le même sang ou pas, on n’est pas tenu de s’aimer. Que ce ne soit pas simple de ne pas s’aimer quand on vit sous le même toit, oui certainement, et il faut voir comment chacun compose avec ça mais cette injonction d’amour, c’est une drôle d’idée. Peut-être même que ça ne permet pas de se rencontrer. Si on prend ça très au sérieux et au pied de la lettre, ça peut même créer plus de malaise qu’autre chose… comment on va pouvoir se parler, comment on va pouvoir exister en étant un peu libre ? Les gens peuvent s’arranger de ne pas s’entendre avec leur frère ou leur sœur !
Ce qui compte, c’est comment un enfant peut exister dans le désir de ses parents. C’est ça qui est extrêmement important. On rencontre un problème quand celui-ci n’a pas les traces de ça. C’est quelque chose de très inconscient. Il y a certains parents qui s’imaginent que ça n’advient que quand l’enfant commence par exister par lui-même, quand il commence à parler… Alors que non, ce désir doit arriver dès la première seconde de son existence. On doit lui parler immédiatement. Certains parents pensent que l’enfant ne comprend pas donc ne leur parle pas mais finalement, qu’il comprenne ou non, ce n’est pas le sujet puisque l’important c’est qu’il comprend qu’on lui donne quelque chose. Et ça, c’est capital.

Il faut donc absolument parler aux tout-petits… Mais si je n’y arrive pas ?
Le parent qui n’arrive pas à parler à son enfant parce qu’il ne répond pas, c’est qu’il n’a pas encore inventé sa posture de parent. Ce n’est pas toujours facile, ça ne tombe pas toujours du ciel… mais ça s’apprend et, être parent, ça ne va pas forcément de soi. Parce qu’on rencontre quelqu’un qu’on n’a jamais rencontré et dont on ne connaît pas grand-chose ! On ne sait rien de ce qu’il veut ou aimerait… tout cela est à inventer et, quand même, ça suppose d’avoir de la ressource pour pouvoir mailler quelque chose et pour soi et pour son enfant. Heureusement qu’au départ il y a le corps, parce qu’on fait beaucoup de corps à corps, mais il faut aussi que l’enfant puisse se décoller à un moment donné. Et c’est avec la parole que ça se fait, tout en restant lié.

Propos recueillis par Valérie MARION

La Marouette accueille parents et enfants (jusqu’à leur 4 ans) —> marouette.fr

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