22
juin
2021

C’EST QUOI GRANDIR ?

> DOSS!ERS
> DOSSIERS
Article du dossier :
"C’EST QUOI GRANDIR ?"

Sûrement pas un long fleuve tranquille…
« Il faudrait que tu grandisses un peu. » Que celui ou celle qui n’a jamais entendu cette phrase lève le doigt. Mais c’est quoi grandir ? Ce n’est pas forcément qu’apprendre à être propre, parler, prendre des centimètres et passer des étapes jusqu’à un âge adulte où l’on serait enfin grand… Si ? OH!BAH est allé à la rencontre de trois membres de l’association Petit à petit, qui gère le lieu d’accueil La Marouette à Nantes, pour aborder le sujet. Allez, on échange avec Marie Baudrand (présidente), Emmanuelle Forner (membre du CA et ancienne accueillante) et Marion Villechenon (accueillante) !

Est-ce que grandir revient à s’émanciper dès le plus jeune âge ?
Marie Baudrand : pour moi « émancipation » a une connotation juridique et j’emploierais plutôt le terme « autonomie ». Grandir, c’est d’abord apprendre à se séparer, c’est aller chaque fois un peu plus vers l’inconnu. Cela commence avant la socialisation. On passe d’une relation très fusionnelle, de la dépendance totale du nourrisson, à l’acquisition de l’autonomie, en se différenciant, en s’individualisant. Donc grandir, c’est sortir de cette relation de dépendance. Il faut du temps, cela se fait par étapes et commence très précocement.

Il y a donc des étapes vers l’autonomie ?
Emmanuelle Forner : oui mais elles ne sont pas figées et, pour certaines, les enfants vont de toute façon les passer. Un enfant finira par être propre, peut-être très tard, mais il finira par l’être. Il finira par marcher, par parler… Et à chaque fois, ce sont des séparations.

Donc pour vous, ces séparations ça commence…
Marion Villechenon : dès la naissance lorsque l’on coupe le cordon !  Le bébé quitte le ventre de sa mère et plonge dans un monde qui lui est totalement inconnu. La mère, elle, fait aussi tout un travail pour que son petit continue désormais sa vie en dehors de son propre corps. Mais cette «  première  » séparation ouvre pour chacun la possibilité de se rencontrer.

Parfois, on utilise ce terme de « couper le cordon » bien plus tard…
Marie B. : oui c’est parce qu’on ne finit pas de grandir. Il n’y a pas qu’une dépendance physiologique, c’est une dépendance affective aussi. Donc on n’en finit pas avec ça.
Emmanuelle F. : C’est aussi pour ça qu’on n’emploie pas forcément le terme d’émancipation. C’est comme parler de liberté. En fait, c’est toujours au travail, toute la vie. La séparation, ce n’est pas forcément une question de dépendance physique ou physiologique : on passe notre vie à se séparer, tous les jours, tout le temps. Souvent la façon dont ça s’est joué dans la petite enfance est déterminante. Il y a des gens qui rejouent toujours la même façon de se séparer, ou de se lier, jusqu’à la fin de leur vie.
Marie B. : on régresse aussi. On ne fait pas qu’avancer.
Emmanuelle F. : Oui, on le voit bien à l’adolescence
Marie B. : effectivement, il y a un remaniement là…

L’adolescence est une régression ?
Marion V. : l’adolescent peut avoir très envie de liberté, d’être autonome, d’avoir son espace à lui, de mettre de la distance avec ses parents… et en même temps avoir un besoin de liens rapprochés qui lui donnent suffisamment de sécurité pour aborder les choses qu’il en train d’expérimenter. Ce sont ces allers retours entre ces deux mouvements qui l’aident, entre autres, à grandir et devenir adulte.
Marie B. : C’est ambivalent. Si on prend l’exemple du tout-petit, il a envie d’explorer, de se déplacer seul, mais c’est aussi confortable d’être dans les bras donc, quel que soit l’âge, il y a toujours cette perte de quelque chose quand on en acquiert une autre. C’est un travail !
Emmanuelle F. : c’est vrai qu’on voit beaucoup ça chez les tout-petits avec l’apprentissage de la motricité. Il y a parfois de la panique lors de ces toutes premières expériences ! Les enfants éprouvent alors le besoin de retourner se lover contre le parent, le proche… Ils sont comme pris de vertige en mesurant qu’il y a une plus grande distance entre eux. Ce n’est pas pour rien qu’on observe aussi des mouvements régressifs à l’adolescence. C’est aussi un moment de vertige : il y a plein de nouveautés, la puberté, la sexualité…ça n’est pas rien comme rupture ! C’est très attrayant, c’est grisant. Mais c’est effrayant aussi. Chez certains adolescents, il y a ces deux mouvements qui se manifestent de façon très aigüe : ils découvrent, ils explorent, puis par moments ils reviennent à des comportements très enfantins.
Marie B. : certains même, parfois, ressortent leur doudou, ce doudou qui aide à la transition de la séparation pour les petits. C’est un refuge pour certains adolescents.

Mais… ce n’est pas inquiétant ?
Marie B. : inquiétant, ce n’est pas le terme, mais c’est sans doute le signe qu’il est compliqué de se détacher. C’est le reflet d’un besoin de sécurisation mais c’est vrai que ce n’est pas la même chose de l’avoir à 3 ans ou à 16 ans. En soi, ce n’est pas inquiétant. Ça le serait s’il y avait un ensemble de signes de régression, s’il n’avait pas d’amis, s’il ne sortait plus seul …
Emmanuelle F. : en fait, on s’autonomise si on a suffisamment de sécurité pour pouvoir le faire. Et c’est bien souvent ce qui se joue à la Marouette. Apprendre à se séparer, à être seul, cela se fait d’abord en présence d’un proche. L’enfant s’éloigne un peu, revient se lover, s’éloigne un peu plus… ça fonctionne par étapes, et avec des allers et retours. Être certain que les parents seront toujours là, même si on ne les voit pas, même quand on va chez les grands-parents, à la crèche ou à l’école. C’est cette confiance-là qui permet d’avancer. Et c’est une affaire de mots ! Sentir la permanence du lien même en dehors de la présence réelle dépend beaucoup de ce qui est dit. Cela passe par la parole, une parole qui s’adresse à l’enfant avec des mots justes, à chaque étape.
Marie B. : d’où l’importance aussi de l’attitude des parents parce que c’est eux qui donnent cette sécurité de base. On voit des mamans qui ont du mal à se séparer de leur enfant et l’enfant vit la même difficulté, parce que, pour lui, le monde extérieur, c’est l’inconnu. S’il ressent de l’inquiétude autour de lui, il vivra la séparation comme un danger. Mais tout dépend de l’enfant, on ne peut pas généraliser.

L’angoisse de la séparation pour les enfants viendrait de celle des parents ?
Marie B. : c’est parce que cela induit chez l’enfant une sorte de sentiment d’incapacité qu’il aurait à se débrouiller seul et donc cela ne lui donne pas la confiance nécessaire. Il a besoin lui aussi d’être rassuré et d’avoir cette sécurité pour avancer. Or, pour un tout petit, c’est ce que pense l’adulte, qui a valeur de vérité. Si une maman donne toujours la main pour traverser sur un trajet habituel et sécurisé de l’école, même lorsque l’enfant a 9 ou 10 ans par exemple, et sans lui apprendre les règles pour le faire sans risque, il pensera qu’il n’est pas capable de le faire seul, que c’est forcément dangereux. Le rôle des parents est de soutenir la séparation même si c’est parfois difficile. Il faut qu’ils soutiennent ce mouvement qui est naturel et qui permet l’autonomie.
Marion V. : le travail de séparation concerne aussi bien l’enfant que le parent !
Emmanuelle F. : il y a des parents qui auront autant, voire plus du mal à se séparer de leur enfant que leur enfant d’eux. Il peut y avoir quelque chose qui se réactualise de leur propre enfance, qu’on peut éventuellement les amener à repérer : qu’est-ce qui se rejoue pour eux dans l’idée de la séparation, de l’autonomie de leur enfant ? Pour certains ce sera très facile ; pour d’autres, beaucoup plus compliqué…

Le chemin classique d’une « bonne » séparation, ça se passe comment idéalement ?
Marion V. : nous pouvons reprendre l’exemple de l’enfant qui va s’éloigner un petit moment : ce qui va lui permettre de ne pas se sentir complètement seul, c’est de pouvoir s’appuyer sur sa capacité à se représenter la présence de son parent dans l’autre pièce, à se dire qu’il est là s’il en a besoin même s’il ne le voit plus ou ne l’entend plus (en somme c’est pouvoir se représenter l’absence de l’autre !). L’enfant emporte alors avec lui les mots, la présence rassurante de son parent même lorsqu’ils ne sont plus proches physiquement. Petit à petit, ces présences intériorisées constitutives de notre monde interne, nous permettent de nous sentir accompagnés dans la vie, quel que soit l’âge.
Marie B. : c’est vrai que la représentation mentale est très importante, l’enfant peut se représenter l’image de la personne absente, il l’intériorise ce qui le rassure et lui permet de mieux vivre la séparation.

Un monde interne et non pas un caractère ou tempérament ?
Emmanuelle F. : Ça peut aussi tenir à la personnalité de l’enfant, ce qu’on peut appeler le génie propre de l’enfant. Pourquoi, dans une même fratrie, certains trouvent les ressources, alors que d’autres non ? Certains surmontent des situations, des événements qui paraissent complètement ravageurs et d’autres, malgré leur environnement très sécurisant, vont être en difficulté. Il n’y a pas de règles. On ne peut pas dire que si vous faites comme ci ou comme ça, si vous vous y prenez de telle manière, dans tel ordre, la séparation ou l’accès à l’autonomie se passeront bien. Il n’y a pas de destin ! Et heureusement. Mais ça, c’est très frustrant pour les parents qui sont à la recherche de paroles d’experts, qui aimeraient qu’on leur explique comment, à coup sûr, ils auront des enfants qui vont bien, comment ils devraient faire pour être de « bons » parents. Parce qu’on ne sait pas. On rate, on se trompe, et c’est peut-être quand ça rate, quand on se trompe, qu’en fait, on réussit le mieux… Il n’y a pas de garantie. Et l’enfant aussi à sa part à jouer, très tôt, même tout-petit. Puis ça continue toute la vie.

Donc, tout le monde a sa part à jouer et on grandit toute sa vie ?
Marion V. : oui, d’ailleurs on entend souvent des parents dire qu’ils grandissent au fil du grandir de leur enfant…
Emmanuelle F. : grandir, c’est une succession de séparations. Devenir parent en est une. On cesse alors d’être uniquement la fille ou le fils de. On est amené à revisiter nos relations avec nos propres parents. Cela vient raviver des blessures, ou mettre au jour des séparations qui ne se sont pas faites. Cela peut être l’occasion de trouver un apaisement, ou au contraire d’affronter enfin des conflits qu’on n’a jamais pu aborder avant.
Marie B. : on peut, par exemple, avoir choisi une voie parce que c’était celle dictée par l’histoire familiale et vouloir en changer devenu adulte. On prend conscience qu’on n’est pas arrivé à se séparer des injonctions familiales et que, peut-être, on a choisi un métier parce que c’était celui du père… parce que la dépendance affective a conduit à ne pas assumer ses choix, à avoir peur de déplaire ou peur de blesser ou d’être culpabilisé et là aussi, on peut très tardivement réagir. On grandit tout le temps.

Ce serait dépasser certains interdits ?
Marion V. : les interdits font grandir. Par exemple, au moment de l’adolescence, la sexualité prend une forme adulte et l’interdit de l’inceste pousse à aller faire des rencontres en dehors de la famille. Il y a donc une ouverture sur l’extérieur parce que cet interdit oriente le désir vers un ailleurs.
Emmanuelle F. : c’est bien pour ça que, les interdits, même quand on est censé les avoir intériorisés, il faut parfois s’y « refrotter ». C’est ce que font les adolescents qui ont tendance à jouer avec le feu. Ils sont dans un moment de transition déstabilisant, et ont besoin de vérifier : est-ce que ça tient ? Si l’interdit est flou, ou flottant, la sécurité nécessaire pour se lancer dans la découverte, pour explorer l’ailleurs, fait défaut. Les interdits, c’est très structurant !

Propos recueillis par Valérie MARION

La Marouette est un lieu de rencontre et de parole pour les enfants (jusqu’à 4 ans) accompagnés d’un parent ou d’un proche. Vous avez envie d’échanger avec les accueillants ou avec d’autres parents ? Vous vous posez des questions, vous avez un besoin de sociabilisation ou vous souhaitez aller plus loin sur la notion de grandir ?
Le lieu est ouvert les lundis, mercredis et jeudis après-midi de 15h30 à 18h et le samedi matin de 10h à 12h30. Toutes les infos : marouette.fr et → facebook.com/lamarouette

PARTAGER CET ARTICLE          
À LIRE AUSSI
> DOSS!ERS
> DOSSIERS
Article du dossier :
"C’EST QUOI GRANDIR ?"

!N X OUT : C’EST QUOI GRANDIR ?

Publié le 22/06/2021
Ah, grandir... Sortir de l’enfance, faire des soirées, se découvrir, oser, essayer, prendre son envol, quitter le nid. Et parfois y revenir. Grandir, est-ce partir ou...

Le billet de Clai(re)LOUP

Publié le 22/06/2021
GRANDIR, UN ACTE D’ÉMANCIPATION Pour les enfants, grandir serait acquérir une autonomie, mais pour les parents, on peut parler d’émancipation ! Et cette émancipat...