30
novembre
2021

JOUER, DU JEU AU JE

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Article du dossier :
"DOSSIER : JOUER !"

Et si jouer, comme explorer ou rire, était le propre de l’homme. Élément fondateur de la construction de soi, jouer ne se limite pas à s’amuser Emmanuelle Forner, psychanalyste et membre de l’association Petit à Petit*, nous explique en quoi. Rencontre.

L’action de jouer commence tôt chez l’enfant ?
C’est en effet une expérience très précoce. Cela peut naître d’une situation provoquée ou due au hasard. Prenez un bébé dans sa chaise haute qui fait tomber sa cuillère. L’adulte qui est avec lui la ramasse. Le bébé la refait tomber, l’adulte lui rend, le bébé recommence. Voilà qu’est initié un jeu. Et qu’est-ce qu’il s’y passe ? On pourrait dire que le bébé vérifie que l’adulte est bien là pour lui. Peut-être que l’enfant se projette dans la cuillère : si moi je tombe, est-ce qu’il y a quelqu’un pour me rattraper ? Mais dans la répétition et l’échange qui s’établit avec l’adulte, il y aussi quelque chose qui s’invente, et l’enfant qui choisit de lancer la cuillère en est l’initiateur. Il ne se contente pas de vérifier qu’il y a quelqu’un pour prendre soin de lui, il devient actif, et invente une situation. Lui qui est encore si dépendant se retrouve en position de décider et d’entraîner l’adulte dans son jeu. La jubilation qui accueille ce genre de jeux chez les enfants témoigne bien de la satisfaction qu’ils en retirent. On voit aussi par là ce qui est convoqué d’invention et de créativité dans le rapport à soi, et à l’autre. L’enfant qui joue à jeter sa cuillère se donne la possibilité de mettre à distance sa dépendance en la mettant en quelque sorte en scène, grâce à sa capacité à imaginer et à (se) représenter, ce qui est propre au petit d’homme. Une autre illustration : nous connaissons tous le jeu du « coucou-couché » qui consiste à cacher puis dévoiler son visage pour un tout petit. C’est un jeu sur l’alternance apparition/disparition qui suscite souvent chez l’enfant une grande excitation. Qu’est-ce qui est alors à l’œuvre ? On voit bien qu’y est mis en scène pour le tout-petit la question de la présence et de l’absence. Il suffit de prêter attention à l’expression du bébé lorsque le visage de sa maman disparaît pour repérer l’inquiétude qui le traverse. Et si maman ne revenait pas ? Mais voilà que le visage de maman réapparait, salué par un grand éclat de rire. Qu’est-ce qui pousse l’enfant à vouloir répéter encore et encore cette expérience ? La répétition vient probablement émousser l’intensité de l’inquiétude suscitée par la disparition de l’adulte, et lui permet en quelque sorte de l’apprivoiser. Mais l’enfant peut également lui-même mettre en scène cette alternance de l’absence et la présence de l’autre ; grâce à sa créativité, à cette capacité d’invention, il s’en fait acteur. Sa faculté à faire comme si, qui caractérise le jeu, l’ouvre à une expérience qui lui permet d’affronter une situation à la fois douloureuse (apprendre à se séparer) et indispensable à sa construction.

Notre rôle serait donc d’accompagner nos enfants pour trouver cet espace de créativité…
Oui, de leur laisser du temps pour jouer en dehors de ce qui est prévu pour… On propose aux enfants tout un tas de jeux dit éducatifs mais on voit bien que, dans une cour d’école, les enfants s’amusent aussi bien avec une brindille de marronnier, ou avec des jeux qu’ils s’inventent, seul ou à plusieurs. Cela ne veut pas dire qu’il faut bannir les autres jeux, qui ont aussi leur intérêt. Grâce à des jeux établis, on apprend à se mettre d’accord et à respecter des règles, à développer des stratégies, à supporter de perdre, à admettre qu’il y a une part de hasard, que tout ne dépend pas de nous… L’expérience de ces jeux apporte aussi quantité d’apprentissages. Même avec les jeux vidéo, si décriés. Il y a certes les effets délétères, mais cela peut aussi renvoyer à une étape importante de la construction psychique, de l’ordre de la recherche de l’intimité et du besoin de se séparer. Les adolescents s’immergent dans un monde qui échappe à leurs parents, sur lequel ceux-ci n’ont pas de prise.

Nous aurions besoin d’être absorbé par le jeu ?
Ce besoin, on l’observe déjà chez les tout-petits. Cela se développe d’abord en présence des adultes. Un enfant qui s’occupe seul, c’est un enfant qui est en sécurité psychique : il sait que le parent n’est pas loin, que celui-ci soit là physiquement ou non. C’est ce que disait Donald W. Winnicott** : la capacité à être seul, cela s’apprend toujours en présence. Et c’est une voie vers l’autonomie, une étape vers la séparation. Les parents disent souvent d’un enfant concentré sur ses Legos, ses Playmobils, ou ses brindilles de marronnier… : « il est dans son monde ». En effet, c’est tout à fait cela. Lorsqu’il joue, l’enfant cherche dans le jeu un univers à lui, un monde qu’il s’invente, qui lui appartient en propre, dans lequel il peut être seul, parce qu’il se sent en sécurité, et où il peut être lui-même. N’est-ce pas la condition pour être à même de rencontrer l’autre ? Et ceci est également à l’œuvre dans l’expérience de jouer. Dès lors que le jeu en implique deux, puis trois, et plus, s’ouvre alors l’espace de la vie en société.

Propos recueillis par Valérie Marion

*Qui gère le lieu d’accueil enfants parents la Marouette (un lieu pour se rencontrer et jouer) https://marouette.fr/
**Donald Winnicott (1896-1971), pédiatre et psychanalyste britannique de référence sur le sujet.

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